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lundi 21 mars 2016

Rétrospective Kurosawa (2) - Qui marche sur la queue du tigre ( film - 1945)

Deuxième film de la rétrospective en moins d'une semaine...

Cette fois il s'agit d'un jidai geki, un film " d'époque", donc un film historique de 1945, qui n'avait jamais été diffusé en France en salles ( je crois qu'il avait été distribué en vidéos cependant)

Tora no o wo fumu otokotachi, littéralement "les hommes qui marchent sur la queue du tigre"... autant dire qui tentent quelque chose de très risqué.


L'histoire s'inspire d'un fait réel: en 1185, le futur shogun Minamoto no Yoritomo est en désaccord avec son frère cadet Yoshitsune sont en désaccord, Yoritomo suspecte Yoshitsune de trahison , l'histoire est complexe, et comme souvent au moyen âge, quel que soit l'endroit du globe, la famille ne compte plus dans ces cas là, une "désaccord familial" peut facilement tourner au bain de sang, et Yoshitsune est donc en fuite avec quelques un de ses partisans, en pleine montagne, déguisés en moines guerriers, les yamabushi.


La "queue du tigre" c'est le surnom du poste frontière d'Ataka, l'endroit le plus dangereux que vont devoir passer Yoshitsune et sa suite, car leur fuite et leurs déguisement sont déjà éventés, il va falloir pousser le commandant du poste frontière à croire qu'il s'agit de vrais moines et que ce n'est qu'une coïncidence. Heureusement, parmi les suivants de Yoshitsune se trouve Benkei, authentique moine moine guerrrier, qui va pouvoir donner le change aux gardes suspicieux.

L'histoire en question est très connue, elle est relatée dans le Dit de Heike, des pièces de Nô, de Kabuki..
et c'est probablement exactement la raison pour laquelle le film n'avait jamais été diffusé en France, trop japonais dans son sujet ( il vaut mieux avoir quelques notions de cette histoire là pour comprendre, et par chance, j'avais lu une revue qui l'évoquait il y a quelques temps), et les références très théâtrales.


On ne voit presque jamais le visage de l'acteur qui joue Yoshitsune, le plus souvent caché sous un grand chapeau ou de dos.Même s'il est le principal protagoniste historique de l'histoire, il n'est ici presque qu'un figurant; Je ne vais pas me plaindre d'avoir malgré tout un chevelu, même de dos, à mettre sur ma page, mais ça c'est une considération toute personnelle. Mais c'est intéressant de voir que le personnage qui ressort le plus dans le film est un homme du peuple, vaguement ridicule et loin de l'idéal chevaleresque, et non un noble guerrier. Et pourtant si ridicule soit-il, il ne manque pas d'une certain idéal de grandeur, qui le conduit à garder avec lui, tout au long de la traversée, la branche de cerisier de Yoshitsune, pour lequel il a une sorte d'admiration mêlée de compassion, comme symbole de son empathie probablement plus humaine que politique.
Le personnage central n'est donc ni Yoshitsune, ni le moine Benkei, mais le porteur qui les accompagne, personnage humoristique, interprété par l'acteur comique Kenichi Enomoto ( connu au théâtre comme Enoken) dont le jeu fait énormément appel au mime, je ne sais pas s'il est  passé par le Kabuki ou le rakugo, ou le manzai, mais ça ne m'étonnerait absolument pas.
Il a une tête pas possible, dont il joue énormément ça m'amuse beaucoup
Un autre exemple de ce que faisait cet acteur (l'équivalent d'un chansonnier des années 30), une chanson intitulée " mon papa" en pur franponais vintage!




Tout le film est complètement imprégné de l'esthétique théâtrale : action concentrée, nombre limité de personnages et de décors, pensées des personnages racontées par un chant accompagné d'instruments anciens qui explicite leur état d'esprit mais aussi l'action " la ruse est éventée, il va falloir changer d'approche, se déguiser...". La durée du film ( un moyen métrage d'une petite heure seulement) se rapproche aussi d'une pièce de théâtre.

Des spectateurs sont sortis de la salle de cinéma en se sentant "floués" quelque part. Probablement qu'ils espéraient un film de samourai avec combats épiques, or.. non, c'est précisément un moment du Heike Monogatari qui exalte la supériorité de la ruse et de l'intelligence sur la force brute qui est mis en avant.

Du coup " il ne se passe rien". Mais si, il se passe plein de choses, mais c'est plus un combat mental entre le moine Benkei et le commandant de la forteresse qu'il tente de convaincre que non, définitivement non, il ne sont que de simples moines qui parcourent les routes ce n'est qu'un hasard si des fuyards sont déguisés de cette façon ( et de le prouver en récitant des sûtras et en improvisant une fausse demande de subvention pour restaurer un temple, ennuyeuse et bourrée de formules ronflantes comme seule pourrait l'être une vraie!)

Donc évidemment je ne le conseille pas aux gens qui attendent des combats épiques, ou qui sont rétifs au théâtre, car oui, c'est du théâtre filmé, jusque dans son surjeu. Mais par contre ça peut être une excellente porte d'entrée vers le théâtre japonais justement, sans les difficultés de compréhension grâce aux sous-titres, sans la longueur d'une pièce de nô ultra codifiée.

Personnellement, j'ai bien aimé, c'est un film du début de la carrière de Kurosawa ( donc très bien , une période que je ne connaissais pas non plus), mais je n'ai rien contre le théâtre filmé.
Ha oui, puis c'est l'occasion, de voir l'incroyable influence de Kurosawa sur le western  de Sergio Leone: trognes patibulaires en gros plans, longs moments de silence qui font monter la tension dramatique...
attention, fourbe en vue, fourbe en vue!! (le maquillage de l'acteur est là, vraiment très proche du masque de théâtre traditionnel)

Peut-être pas le premier film à tenter si l'on n'a pas au moins quelques bases sur le cinéma de Kurosawa ou sur le théâtre asiatique, mais c'est une bonne nouvelle de voir que les mentalités ont suffisamment évolué sur l'Asie en général pour que des oeuvres plus confidentielles ou plus hermétiques soient maintenant proposées au public européen.

Le prochain film sera encore quelque chose de très différent, puisqu'il s'agira des Bas-Fonds, adapté du roman russe de Gorki

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